Refus de l'obligation vaccinale : une crise dans la crise.
Des difficultés déjà présentes avant le Covid-19
La rigueur draconienne de l'obligation vaccinale percute la réalité d'équipes étiques de personnels soignants surmenés depuis des mois avec pour conséquence mécanique d'aggraver les sous-effectifs préexistants et de dégrader l'offre de soin des établissements de santé tant publics que privés.
Depuis le 15 septembre 2021 et jusqu’au 15 octobre inclus, les personnels de santé soumis à l’obligation vaccinale sont autorisés à exercer en justifiant de l’administration d’au moins une des doses requises, et sous réserve de présenter le résultat d’un test négatif (RT-PCR, antigénique, autotest supervisé par un professionnel), toutes les 72 heures, jusqu’à présenter d’un schéma vaccinal complet…
Ceux qui refusent la vaccination sont confrontés à une seule alternative qui passe soit par une suspension sans salaire du contrat de travail, soit par une démission ; une perte d’emploi dans les deux cas. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, annonçait au lendemain de la prise d’effet de l’obligation vaccinale " quelque 3 000 suspensions et quelques dizaines de démissions " de membres non vaccinés du personnel soignant des établissements de santé et médico-sociaux.
A La Réunion, 70 suspensions auraient été " fulminées " dans les divers établissements de santé, et deux en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), ou une vingtaine de refus seraient encore présumés. Un sapeur-pompier aurait lui aussi fait l’objet d’une suspension de contrat pour méconnaissance de l’obligation vaccinale. Deux blocs ont été fermés au CHU Nord… qui en compte une vingtaine.
Mais ce premier bilan éphémère n’est en aucun cas significatif de l’impact de cette " obligation " sur le fonctionnement à court et moyen terme des établissements publics et privés, car plus de 300.000 personnels de santé n’étaient pas vaccinés à la veille de l’application de ladite obligation transitoire.
S’il apparaît que les professionnels libéraux seraient vaccinés à 95% en moyenne, avec des variantes, les médecins spécialistes à 97%, les infirmiers à 91%, les sages-femmes à 89%… les départements d’outre-mer présentent chez les professionnels la même retenue vis-à-vis de la vaccination que le reste de la population, La Réunion étant sans doute la plus légaliste en la matière ; dans les Ehpad et les unités de soins longue durée, la couverture n’excèderait pas 34% en Guadeloupe et 32% en Martinique quand elle s’élèverait à 81% à La Réunion.
- C’est le régime juridique de l’arrêt de travail qui prime -
La comptabilité exacte du phénomène de refus demeure floue, faute de communication de chiffres précis et de volonté d’en fournir, mais chacun sait dans le milieu médical que nombre de personnels soignants, réticents ou pas à la vaccination, se trouvent depuis quelque temps en arrêt de travail ; officiellement on traite " d’absentéisme " un terme juste assez général pour être euphémique. Si de tels arrêts de travail ont pris effet avant la mise en œuvre de la suspension du contrat de travail, c’est le régime juridique de l’arrêt de travail qui prime… Les personnels soignants qui bénéficient de cette situation pourront donc prétendre au complément de salaire ad hoc, dispositions conventionnelles obligent, ainsi qu’aux indemnités journalières de la Sécurité sociale (IJSS). Au-delà, il leur faudra produire les justificatifs vaccinaux exigibles… " pass sanitaire " prolongé ou pas.
A La Réunion, comme en métropole, ce sont les infirmiers(-ères) qui totalisent le plus de refus. Et nombre d’entre eux sont bien décidés à changer de profession, d’orientation, plutôt que d’en passer par le vaccin obligatoire.
La chose s’explique par le fait que la pression subie par ces personnels lors des différents points culminants de la crise sanitaire, a exacerbé la frustration et la fatigue provoquées par la pénurie systémique qui les affecte depuis belle lurette. Une étude récente (Mai 2021), lancée par l’Ordre infirmier a mis en exergue le fait que 40% des infirmiers indiquent que la crise leur a donné l’envie de changer de métier pendant que 51% d’entre eux considèrent que la profession d’infirmier ne permet pas de connaître de véritables évolutions et perspectives de carrière.
Quant au Conseil International des Infirmières (CII), il souligne que " que l’effet COVID-19 constitue une forme unique et complexe de traumatisme aux conséquences potentiellement dévastatrices à court et à long terme sur les infirmières et les systèmes de santé où elles travaillent (…) La pandémie risque de nuire à la profession infirmière sur plusieurs générations, à moins que les pouvoirs publics ne prennent des mesures immédiates pour remédier à l’effet COVID-19 qui (…) pourrait provoquer des départs de grande ampleur de la profession (…) Le monde est déjà confronté à une pénurie de six millions d’infirmières et quatre autres millions devraient atteindre l’âge de la retraite dans les dix prochaines années. L’effet COVID-19 étant susceptible d’entraîner un plus grand nombre encore départs… "
- 34.000 postes d’infirmiers étaient vacants à la rentrée 2020 -
Le 21 juillet dernier, le préfet Billant, confronté à la flambée épidémique, déplorait un "système hospitalier sous pression" et le CHU lançait un appel "urgent" à candidatures pour des contrats "d’infirmiers en soins généraux, infirmiers en réanimation, IBODE (infirmiers de bloc opératoire, IADE (infirmier anesthésiste)" à pourvoir "immédiatement". A titre indicatif, 34.000 postes d’infirmiers étaient vacants à la rentrée 2020…
En mai 2020, le CHU avait même sollicité des étudiants infirmiers pour renforcer les équipes soignantes. Nous expliquions à l’occasion de la dernière grève nationale des infirmiers(-ères) en réanimation que leur colère venait de ce que la cause première du manque de personnel dans cette profession était de nature purement administrative.
Elle était datée de 2015, avec un décret donnant aux fameux IBODE, à compter du 1er juillet 2019, l’exclusivité dans la réalisation d’actes essentiels pour l’assistance au chirurgien, tels que les gestes permettant d’exposer les organes, aspirer le sang, et les sérosités, cautériser par électrocoagulation… Mais à la date prévue, sur les 18.500 personnels nécessaires à la mise en œuvre de la réforme, seuls 5.000 infirmières et infirmiers étaient opérationnels.
Moralité, faute de fermer les blocs, on a continué à fonctionner avec les moyens du bord, pendant qu’un nouveau décret destiné aux infirmiers-(ères) diplômés d’État (IDE) affichant deux ans d’expérience dans les gestes essentiels (écarter, aspirer et électrocoaguler), devait permettre de valider leurs acquis devant un jury, pour obtenir une autorisation d’exercer en tant que faisant fonction d’IBODE, à condition de suivre avant le 31 décembre 2025 une formation complémentaire de 21 heures dispensée en école …
Mais former ou confirmer 12 ou 13.000 IDE prend du temps, et l’administration de la Santé avait finalement calé l’horizon à 2025 pour achever la réforme. Or les fameux IBODE comptent au mieux pour 45% des IDE et, Covid-19 oblige, il faut faire tourner les blocs et les lits de réanimation au-delà du raisonnable s’agissant du temps de travail…
Pour les médecins anesthésistes réanimateurs (MAR), une étude démographique de la profession datant de 2010 prévoyait la nécessité d’en former 1000 MAR pendant 12 ans, las aujourd’hui encore ils sont en moyenne 374 à rejoindre bon an mal an les services de " réa "… Un lourd déficit. D’où le tragique manque de lits de " réa " subi tout au long de la crise Covid !
- Un besoin de 630 médecins toutes spécialités confondues -
Les objectifs nationaux pluriannuels de professionnels de santé à former pour la période 2021-2025, qui ont été fixés en mars dernier, évaluent sur la base des informations optimistes fournies par les ARS de La Réunion et de Mayotte, un besoin de 630 médecins toutes spécialités confondues et 135 sages-femmes.
La crise dans la crise réside donc dans le fait que la draconienne exigence vaccinale imposée aux infirmières et médecins que l’on a précédemment fait travailler dans les pires conditions de pénurie en matériels et équipements de protection, va aggraver la carence en effectifs avec des conséquences pratiques mécaniques en termes de déprogrammation d’interventions, voire de fermetures de services, faute de " réserve ".
Un bilan paradoxal en termes de santé publique, un désastre en matière de communication, quand on sait que précédemment, un avis du Haut Conseil de la santé publique du 23 mai 2020 relatif à "la conduite à tenir pour les professionnels intervenant en établissements de santé et en établissements sociaux et médico-sociaux selon leur statut vis-à-vis du SARS-Cov-2" préconisait - avant le lancement des campagnes de vaccination - "dans le cas où un personnel non remplaçable serait porteur du SARS-CoV-2 et asymptomatique, la possibilité dégradée d’un maintien en poste avec un renforcement des mesures de précaution et d’hygiène est envisageable afin que la balance-bénéfice/risque ne soit pas défavorable…"
Enfin, histoire de solliciter l’aptitude humoristique des parties prenantes à cette crise, il faut savoir que "les agents publics en charge de missions de contrôle (police, inspection du travail, services vétérinaires, services de la répression des fraudes, douanes, par exemple) et les personnes mandatées par les autorités publiques pour des missions de contrôle ne sont pas dans le périmètre de la mesure…", et donc dispensés d’obligation vaccinale.
Source : https://www.ipreunion.com/ PLC / Photo RB