Les "glyphotests", bonne intention, méthode discutable
Tests de pesticides dans les urines (actualisé)
L'association Oasis Réunion lance en ce moment même une campagne d'analyses appelées "glyphotests". Déjà menés en Métropole, ils visent à rechercher la présence de glyphosate dans les urines. Dans l'Hexagone, 3.600 tests ont été menés et tous se sont avérés positifs avec, selon les résultats obtenus, un taux de glyphosate dans les urines 10 fois supérieur aux taux toléré dans l'eau potable. C'est tout le problème : certains remettent en cause ces pratiques, puisqu'il est difficile de comparer taux contenus dans l'urine et taux contenus dans l'eau. Par ailleurs, d'autres dénoncent un manque de rigueur et de pertinence scientifique dans ces tests. Alors qu'en est-il vraiment ? (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)
Largement diffusés et médiatisés, les fameux "glyphotests" sont maintenant connus de tous. Censés analyser le taux de glyphosate dans l'urine, ils seraient, pour les groupes à l'origine de ces tests, le moyen pour les citoyens de porter plainte, d'abord individuellement pour ensuite constituer une vaste plainte collective, confondant Hexagone et Outre-mer, contre Monsanto, récemment racheté par le groupe Bayer. La filiale n'a plus le monopole du glyphosate, mais selon le co-initiateur d'Oasis Réunion, Bernard Astruc, il faut les attaquer face à la vaste utilisation du Round Up à La Réunion. "On vise aussi les agences qui autorisent la mise sur le marché de ce type de produits", nous explique-t-il. Les vendeurs, eux, ne sont pas attaqués.
Plusieurs raisons sont invoquées dans ces plaintes : atteinte à la vie d'autrui, tromperie aggravée, atteinte à l'environnement. "Ce qu'on veut avant tout c'est montrer que du glyphosate, il y en a partout, dans les champs, dans l'air, dans les aliments, même l'agriculture biologique est impactée !"
Vaste mobilisation à La Réunion
Aujourd'hui, plus de 330 Réunionnais se sont inscrits à la campagne de tests lancée par Oasis Réunion. Selon Bernard Astruc, il est encore possible de s'inscrire. Sur tous ces participants, un échantillon de 75 tests sera retenu à la fin, pour dresser un panel le plus divers et représentatif possible de l'île.
Problème, le test coûte particulièrement cher : 135 euros par personne. Dimanche 23 juin, un concert de Danyel Waro était organisé dans ce but, afin de récolter les fonds nécessaires pour financer cette campagne de tests. "Nous avions besoin de 6.000 euros", explique Simon Vienne, coordinateur local du collectif. "Certains ont aussi contribué via le site Oasis Réunion." Pari gagné, aujourd'hui nous apprenons que 4.000 euros ont été collectés lors du concert, et 2.000 euros via le site participatif mis en place.
Et ce n'est pas fini. Un autre événement d'envergure devrait être organisé d'ici le mois de septembre par le collectif Oasis Réunion. Pour l'instant, les coordinateurs gardent le projet secret. "Ce sera également un concert", nous indique Bernard Astruc, "il sera agrémenté d'ateliers et de bars avec des jus bios pour sensibiliser les visiteurs sur l'agriculture biologique." Pour le reste, mystère... on en saura plus d'ici quelques temps, nous dit-il.
Une juste sensibilisation autour du glyphosate
La Réunion est actuellement le deuxième plus gros utilisateur de glyphosate parmi les départements français. Il est essentiellement utilisé pour le désherbage de la canne. "Si nous détectons des taux anormalement hauts dans nos urines, est-ce que ce ne serait pas le moment de vraiment se poser la question de l’utilisation du glyphosate dans nos champs ?" s’interroge pour sa part Simon Vienne. Les zones exposées à La Réunion sont nombreuses, "que ce soit la ville ou la campagne", selon lui.
Certes, le problème des pesticides est pesant à La Réunion, dans une agriculture qui va déjà mal. L'initiative est donc louable, elle pourrait permettre par la suite de s'interroger sur les alternatives biologiques qui peuvent exister, et - peut-être - relancer l'agriculture. Ce n'est pas chose facile, se convertir au bio étant une difficulté financière pour beaucoup d'agriculteurs. La FNSEA par exemple est farouchement opposée à une interdiction immédiate du glyphosate, partout en France et pas seulement à La Réunion. Cela entraînerait selon la fédération une baisse des productions.
Plus d’aides pour moins de glyphosate ?
"C’est un vrai sujet de société", déclare pour sa part la députée Ericka Bareigts, qui a soutenu à sa manière le concert organisé dimanche 23 juin en mettant à disposition la Cité des arts. "La question ici c’est quelle agriculture nous voulons pour demain, alors qu’on utilise des produits qui font du mal aux agriculteurs et aux autres."
Au-delà de la santé, elle pointe du doigt l’importance de la sécurité alimentaire. "On l’a vu avec le blocage de nos ports fin 2018, qu’est-ce qu’on mange ? Le thème de la production alimentaire va avec ceux de la santé et de l’aménagement du territoire."
Pour aller vers une meilleure qualité de produits, elle comme d’autres députés veulent porter les intérêts des Réunionnais à l’Assemblée nationale et auprès des ministères pour demander le maintien et le renforcement des aides injectées dans l’agriculture de La Réunion.
Une comparaison urine-eau qui pose question
En 2015, l'Organisation mondiale de la santé (OMS), via le Centre international de recherche sur le Cancer (CIRC) a classé le glyphosate comme "cancérigène probable", sans préciser pour autant le taux limite. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), elle, avait estimé qu'il était "improbable que le glyphosate fasse courir aux humains un danger cancérigène".
Et, suite à l’avis du CIRC, une dizaine d’autres agences ont lancé une réévaluation complète du caractère cancérigène du glyphosate. Elles ont toutes, y compris une autre instance de l’OMS (le Joint FAO/WHO Meeting on Pesticide Residues) conclu à l’absence de risque cancérigène du glyphosate. On le voit donc, entre risque et vrai danger, difficile de statuer. La présence même de glyphosate fait donc suffisamment débat, qu'en est-il dans nos urines ?
En Métropole, 100% des tests d'urine étaient positifs et présentaient des taux "10 fois supérieurs à ceux autorisés dans l'eau potable". C'est notamment l'émission Envoyé Spécial sur France 2 qui en faisait part, lors d'une diffusion le 17 janvier 2019. Les résultats à La Réunion, eux, devraient être connus fin septembre. "Nous aimerions savoir, nous les Réunionnais, à combien s’élève le taux chez nous", explique le coordinateur d'Oasis Réunion Simon Vienne.
Le taux détecté en métropole, lui, était entre 0,19 et 1,26 microgramme par litre. Effectivement ces chiffres se trouvent au-dessus des taux autorisés… dans l’eau potable, à savoir 0,1 microgramme par litre. Or l’urine, ce n’est pas l’eau. Il n'y a pour l'instant pas de "norme urinaire", la seule référence possible est donc l'eau...
L'Association française pour l'information scientifique (AFIS) est plus que sceptique face à ces tests. C'est d'ailleurs l'une des rares institutions à s'être vraiment exprimée sur le sujet. Premier problème, l'urine concentre tous les déchets que le corps ne peut pas assimiler, et donc tout un tas de substances indésirables... Cela reste, il ne faut pas l'oublier, ce qui "sort" de notre corps, contrairement à l'eau potable, ici utilisée comme outil de comparaison, qui est quelque chose que l'on ingère. Par ailleurs, si le corps arrive à éliminer le produit, est-il nécessaire de s’inquiéter ? 80% du glyphosate ingéré serait expulsé dans les selles, et 20% dans les urines.
Des tests qui attendent un aval scientifique
Selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) le glyphosate dit "urinaire" ne possède pas de valeur fixe pour interpréter la dangerosité des taux. La simple présence de glyphosate suffit de toute façon à effrayer les associations environnementales, qui soulèvent justement que ce pesticide est classé cancérigène probable par CIRC. "L’idée c'est finalement de montrer la simple présence du glyphosate dans nos urines", explique Bernard Astruc. "On peut montrer que tout le monde est concerné."
Nous avons fait, quant à nous, le tour des autorités de santé locales susceptibles de répondre au sujet : Agence régionale de santé (ARS), Direction de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt de La Réunion (DAAF), Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ou encore Université de La Réunion dans les secteurs chimie des aliments ou licence agronomie… Mais personne ne semble s’être penché sur le sujet pour l’instant sur le plan local. Peut-être les résultats, une fois obtenus et publiés, feront-ils davantage réagir les scientifiques. A La Réunion en tout cas, la pertinence du glyphotest n’est pour le moment pas un sujet de préoccupations.
Source : http://www.ipreunion.com Rédaction / photo IPR