Un cap est franchi à la Réunion où l'accès aux soins, aussi bien en médecine de ville que dans les hôpitaux, est très problématique depuis une dizaine de jours en raison des blocages et barrages des gilets jaunes.
La direction de l'agence régionale de santé (ARS) Océan Indien a en effet décidé de procéder au déclenchement du plan blanc dans les hôpitaux « à compter du 28 novembre 2018 », tout en renouvelant sa confiance envers les professionnels et les opérateurs de santé.
De fait, explique l'ARS, « après 11 journées consécutives de blocage intense des voies de circulation », la poursuite de circonstances exceptionnelles justifie que les directeurs d'hôpital puissent organiser la continuité des soins pour « répondre aux situations d’urgence, selon des modalités de fonctionnement éventuellement dérogatoires ».
En pratique, les « plans blancs » sont des protocoles prévus par les autorités face à ces situations exceptionnelles (comme les attentats). Un des objectifs est de répartir au mieux les patients dans les lits disponibles, transports ambulanciers et hôpitaux. Ces plans prévoient aussi la réquisition des personnels médicaux et hospitaliers.
L’ARS Océan Indien salue au passage les « efforts très importants » accomplis ces derniers jours, citant le Samu, les personnels hospitaliers des établissements publics, privés et médico-sociaux, mais aussi de tous les libéraux de santé – médecins généralistes et spécialistes, infirmiers, kinés, etc. De nombreux soignants ont fait état des difficultés de circulation, d’accès aux lieux de travail et d'un sentiment d'insécurité.
C’est un dispositif de crise, mis en place pour répondre à un afflux de patients, faire face à une catastrophe naturelle ou à une situation sanitaire exceptionnelle. Ce jeudi, le Plan blanc a été déclenché dans les hôpitaux de La Réunion, a indiqué l’agence régionale de santé (ARS) Océan Indien dans un communiqué. Il doit permettre aux « directeurs d’établissements de santé publique d’organiser, en fonction de chacun des contextes, la poursuite des activités hospitalières pour répondre aux situations d’urgence, selon des modalités de fonctionnement éventuellement dérogatoires par rapport au droit commun ».
Débutée, comme en métropole, samedi 17 novembre, la mobilisation des « gilets jaunes »à La Réunion n’a jamais faibli, s’accompagnant de violences urbaines comma l’île n’en avait pas connu depuis près de trente ans. Si ces dernières se sont apaisées, ce n’est pas le cas de la détermination des manifestants, qui bloquaient toujours ce jeudi les axes et ronds-points stratégiques du territoire. A 18h45 locales, la direction régionale des routes dénombrait une vingtaine de barrages.
Conformément à ce qu’elle avait indiqué lundi, la ministre des Outre-Mer est arrivée dans le département ultramarin le plus peuplé mercredi matin, pour aller à la rencontre des « gilets jaunes » et faire des « annonces concrètes ». Les premières, mercredi soir, en matière sociale, n’ont pas convaincu les manifestants - d’autres dans le volet de l’emploi devaient être annoncées ce jeudi soir.
Des personnels éreintés, et certains rackettés
En attendant, comme de nombreux autres Réunionnais, les personnels soignants sont à la peine. « La situation est critique », confirme auprès de 20 Minutes, Catherine Gaud, présidente de la Commission spécialisée de l’organisation des soins (CSOS). « Bien qu’ils fassent partie des professions pouvant avoir accès aux stations-service réquisitionnées, les personnels soignants sont eux aussi touchés par les pénuries d’essence. En plus, avec les différents blocages, ils sont obligés d’emprunter d’autres itinéraires, ce qui rallonge leur temps de trajet, et donc leur fatigue. » A cause de la fermeture (jusqu’à ce jeudi après-midi) de la route du Littoral, cet axe stratégique qui relie le nord à l’ouest de l’île, beaucoup de médecins, d’infirmiers ou encore d’aides à domicile ont dû emprunter la route dite de la Montagne, un axe tortueux, mal éclairé et cabossé qui relie le bas de La Possession (ouest) aux hauts de Saint-Denis, le chef-lieu. De plus, les pluies qui se sont abattues sur l’île ces jours derniers ont rendu très difficilement praticables certaines routes - la vigilance jaune aux crues a toutefois été levée ce jeudi.
Outre la fatigue, les agents du CHU de La Réunion (au nombre de 7.000 répartis, au nord, à Saint-Denis, et au sud, à Saint-Pierre, rappelle Le Quotidien du Médecin), ont été la cible des « gilets noirs ». « Au moins une soixantaine [des personnels] ont été agressées et rackettées en voulant se rendre sur leur lieu de travail », dénonce Catherine Gaud. Le CHU a porté plainte.
Pénurie de médicaments dans le Sud
Dans le fonctionnement quotidien, le CHU, l’ARS et la préfecture avaient anticipé la mise en place du Plan blanc en mettant en place très rapidement « un plan rouge », précise Catherine Gaud. « Seules les urgences sont restées ouvertes. Nous avons fermé les lits de jour, les consultations externes et toutes les opérations ont été déprogrammées. Nous nous sommes organisés pour que des personnels puissent dormir à l’hôpital et que leurs repas soient assurés. »
Pour ce qui est des patients, le CHU a pris des mesures exceptionnelles. « Nous avons subi une pénurie de médicaments, à l’hôpital de Saint-Pierre principalement, car les containers à bord desquels ils arrivent, ont été bloqués au port-Ouest [celui par lequel arrivent toutes les marchandises de l’île], complète la présidente du CSOS. Nous avons aussi dû, ce que nous ne faisons jamais, délivrer aux patients dont la survie dépend d’un traitement [diabète, antiviraux] leurs médicaments, car de nombreuses pharmacies étaient fermées ou non livrées. »
Contre toute attente, la panique n’a pas gagné les patients, encore moins les soignants, assure Catherine Gaud : « Pour nous, c’est comme un plan cyclonique, un cyclone d’un autre genre… » A ses yeux, les agents hospitaliers ont fait preuve d’une solidarité sans faille, « d’autant plus délicate à assurer que leurs conditions de travail se sont dégradées depuis cinq ans ». Le CHU est en effet en proie à une « grave crise financière, et affiche un déficit de 110 millions d’euros ».
Source : https://www.lequotidiendumedecin.fr / https://www.20minutes.fr le 30 novembre 2018