Depuis la deuxième moitié du XIXème siècle, les complications neurologiques liées à une consommation chronique et importante d’alcool sont bien connues à travers des tableaux cliniques francs : syndrome de Wernicke-Korsakoff (associant troubles de la mémoire rétrograde et antérograde, fabulations, fausses reconnaissances mais également syndrome dyséxecutif) et/ou véritables syndromes démentiels entrainant une perte d’autonomie majeure
Nous savons depuis quelques années que des atteintes infracliniques (symptomatologie plus fruste) des fonctions cognitives et notamment des fonctions exécutives, visuo-spatiales et de la mémoire épisodique touchent au moins la moitié des patients hospitalisés pour un trouble lié à l’usage de l’alcool.
Selon une étude de cohorte rétrospective récente, la présence d’un trouble de l’usage de l’alcool est un facteur de risque important de démence précoce (risque relatif x 3,35).
Les mécanismes physiopathologiques impliqués sont multiples : toxicité propre de l’alcool, déficit en thiamine (vitamine B1) et lésions induites par la répétition des cycles d’intoxication/sevrage .
Les thérapeutiques en addictologie nécessitent l’intégrité des fonctions cognitives et notamment de la mémoire épisodique et des fonctions exécutives. En cas d’atteinte de ces fonctions, l’efficacité de la prise en charge des patients souffrant d’une addiction peut être compromise. Par ailleurs, la motivation au changement et le sentiment d’efficacité personnelle sont également affaiblis par ces atteintes mnésiques et exécutives ce qui contribue à une moindre efficacité thérapeutique voire à une mise en échec avec majoration de l’anxiété et de la perte d’estime de soi chez ces patients.
L’outil de dépistage le mieux évalué et avec la meilleure spécificité de ces troubles cognitifs modérés semble être le Montreal Cognitive Assessment (MoCA) qui présente les avantages d’être disponible gratuitement sur internet, reproductible, réalisable facilement et rapidement En cas de test perturbé, une évaluation neuropsychologique approfondie est nécessaire afin de confirmer et de préciser le type d’atteinte. Un autre outil de dépistage avec une excellente sensiblité, le test de BEARNI (Brief Evaluation of Alcohol-Related Neuropsychological Impairments), est également souvent cité dans la littérature mais une publication récente suggère que le MoCA est plus adapté au dépistage du fait d’une bien meilleure spécificité
Une abstinence prolongée de plusieurs mois permet une réversibilité, au moins partielle de ces troubles cognitifs A l’image des apports d’une stratégie de réhabilitation cognitive chez les patients traumatisés crâniens ou victimes d’accident vasculaire cérébral [10], une prise en charge spécifique de réhabilitation cognitive pour les patients atteints de troubles cognitifs modérés associée à l’absence de consommation d’alcool, apporterait un gain en termes de performances mnésiques, d’attention, de bien-être et de gestion du craving et de l’impulsivité du comportement de consommation. Concernant les patients plus lourdement touchés, une revue systématique de la littérature suggère un bénéfice des stratégies de réhabilitation cognitive et notamment mnésique.
A La Réunion, l’institut Robert Debré [14] a mis en place depuis mai 2016, sous l’impulsion d’une neuropsychologue, Mme Potigny, un programme de réhabilitation cognitive, sous la forme d’un « parcours mémoire » d’une durée de 3 semaines pour les personnes résidentes affectées de troubles neurocognitifs induits par la consommation d’alcool.
Source : Dr Sami SCERRA, Médecin interniste consultant en addictologie – ANPAA 974, Réseau Oté ! le 09 octobre 2018