Un p'tit coup d'mou ? Un p'tit rhume ? Si vous cédez à la tentation du " Allô, docteur... " pour obtenir un arrêt de travail de quelques jours, votre patron risque de ne plus vous avoir à la bonne. Eh oui, si le projet du gouvernement, évoqué par Les Echos ce jeudi 2 août 2018, aboutit, c'est votre employeur qui devra assumer le coût des indemnités journalières de votre arrêt de moins de huit jours, hors jours de carence. Soit de deux à quatre jours à sa charge, selon que vous travaillez le week-end ou pas. On parie qu'il ne va pas aimer du tout ?
Ce coup de théâtre gouvernemental, dévoilé jeudi 2 août par Les Echos, vaut le détour. Devant l’explosion du nombre d’arrêts-maladie (en moyenne +7% par an au niveau national), le gouvernement, qui ratisse large pour trouver des sources d’économie, voulait laisser la charge des 30 premiers jours d’indemnités journalières à la charge des entreprises. Allez, sortez les calculettes : deux milliards d’économies, à la louche ! Elle est pas belle, la vie ?
Une belle piste pour commencer à répondre aux exigences du document de programmation pluriannuel des finances publiques qui exige de la Sécurité sociale 30 milliards d'économies d'ici à 2022.
D'autant que depuis le passage de la retraite à 62 ans, le coût des arrêts-maladie a explosé. Le gouvernement s’en émeut, mais c’est tout ballot, ça… Quand on élargit le plan de table, le repas de noces coûte plus cher ! Autrement dit, s’il y a davantage de salariés, il y a davantage d’arrêts-maladie potentiels. Et ce n’est pas avec la retraite à taux plein à 67 ans qu’on va alléger les bilans.
En effet, selon les statistiques, les plus de 55 ans présentent en moyenne davantage d’arrêts de travail que les plus jeunes, des arrêts plus longs en raison de pathologies plus lourdes, et plus coûteux tant qu’à faire car ces assurés sont en général mieux payés que les salariés en début de carrière. " A la Réunion, le nombre d’arrêts-maladie des plus de 55 ans a progressé de 11,9% par an et représente 12,1 % des arrêts en 2015 vs 10,4 % en 2010 ", nous a précisé la CGSS. Des statistiques qui ne vont pas encourager le travail des seniors, déjà boudés par les entreprises !
Informées de ces préconisations explosives de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), les instances nationales du Médef et des syndicats ont crié au scandale. Du coup, le gouvernement a revu sa copie : allez, juste quatre jours (après les trois jours de carence) pour les arrêts maladie de moins de 8 jours. Pas de quoi en faire une maladie, non ? Et zou, un p’tit 900 millions de dépenses reportés vers les entreprises.
Du flan, du vent ? Pas tant que ça. Selon notre confrère Les Echos, l'annonce devrait être faite en septembre aux partenaires sociaux par le Premier Ministre et par la Ministre de la Santé.
Le Médef-Réunion sur le pied de guerre
A La Réunion, c’est la consternation au Médef. Didier Fauchard, président du Médef-Réunion, ne mâche ses mots devant ces orientations : " C’est un grand scandale ! On a d’un côté un président qui prône la compétitivité des entreprises et annonce des abaissements de charges, et d’un autre un rapport qui veut faire porter sur les entreprises un report de charges inadmissible, d’autant plus que les entreprises cotisent déjà pour assurer une protection sociale à leurs salariés. C’est d’autant plus inadmissible que les orientations contenues dans ce rapport n’ont jamais été proposées aux partenaires sociaux. C’est juste un moyen de nous reprendre d’une main ce que l’on nous a donné de l’autre ! "
Si, au niveau national, les syndicats font front commun avec le Médef, la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) et l’U2P (Union des entreprises de proximité) pour refuser ce basculement des indemnités maladie vers les employeurs, à La Réunion, les sections syndicales ne se sont pas encore mobilisées autour de cette nouvelle polémique, très récemment dévoilée.
Salim, chef d’une petite entreprise dans l’Est, est resté estomaqué quand la rédaction d’Imaz Press lui a demandé ce qu’il pensait de ce projet : " Moi, c’est simple, je ferme boutique ! J’en ai tout le temps, des arrêts maladie, pour un doigt blessé en cuisine, des maux de dos en salle… Si c’est moi qui dois payer les malades et payer les vacataires en plus, je baisse le rideau tout de suite. "
Christian, patron dans le secteur tertiaire, ne décolère pas : " Après, on nous reprochera de faire appel à des auto-entrepreneurs, de favoriser la précarité. Mais toutes les mesures qui sont prises là, du prélèvement à la source à la modification des CDD et maintenant les indemnités journalières, tout est fait pour décourager les PME d’embaucher ". Céline, sage-femme en cabinet libéral multi-praticiens, ne dit pas autre chose.
A La Réunion, aussi, la hausse est sensible
La question des arrêts-maladie (de courte durée ou pas) est sensible. " Au niveau national, l’assurance-maladie débourse chaque année dix milliards d’euros pour les indemnités journalières. 75% de ces arrêts sont inférieurs à 30 jours, mais ne représentent en valeur que 18% des dix milliards ", précise Mme Nathalie Mussard, de la CGSS.
Depuis des années, la CNAM tient à l’œil les prescriptions trop fréquentes, insuffisamment justifiées, en chargeant les médecins-conseil et les délégués de l’assurance-maladie de s’en aller expliquer doctement aux prescripteurs les bons principes en la matière.
A La Réunion, où les arrêts-maladie augmentent de 13,1% par an, les médecins libéraux ne coupent pas aux petites visites de courtoisie de la CGSS. D’autant que les arrêts de courte durée sont souvent réputés sources d’abus potentiels. "Le système d'arrêt de travail, commente un porte-parole de Matignon cité par Les Echos, souffre de beaucoup de lacunes". Entre les interventions de l'Assurance maladie, de l'employeur, des couvertures complémentaires, il est devenu "illisible et déresponsabilisant", ce qui "encourage l'arrêt de travail de complaisance, l'absence répétée du vendredi ou le congé maladie".
En français dans le texte. "On ne peut pas généraliser, modère le Dr Alain Pénit, médecin-conseil, chef de service au service médical de la CGSS. Nous avons peu d’informations et peu de moyens de contrôle sur ces arrêts courts" (ndlr, lors de notre entretien, la CGSS ne disposait pas de statistiques sur la progression des arrêts de moins de 8 jours).
L’effort, pour faire baisser les coûts des I.J., est mené sur l’accompagnement des médecins : " Par exemple, nous leur expliquons qu’en prescrivant un jour de moins, le samedi si le patient ne travaille pas ce jour-là et n’est donc pas pénalisé, cela permet à l’assurance-maladie d’économiser quatre-vingt-dix millions d’euros par an ", précise Mme Mussard. La Sécurité sociale ayant, comme chacun sait, un rôle de régulation, mais pas de maîtrise comptable.
Les opérations de sensibilisation (qui ne portent pas que sur les IJ) font leur petit effet à la longue, de l’avis de nos interlocuteurs. L'Assurance-Maladie dispose de 67 fiches de pathologies qui indiquent au prescripteur la durée moyenne d'arrêt préconisée, consultables sur le site Ameli, tant par les médecins que par les assurés. " Nous voyons, chez les praticiens que nous accompagnons, des baisses réelles de prescriptions dans un contexte porté à l’augmentation ", analyse le médecin-conseil. Qui évoque aussi les actions collégialement menées avec la Médecine du Travail et les médecins-conseils, pour une meilleure prise en charge des assurés.
" Le patient qui multiplie les arrêts de travail peut finir par développer une pathologie chronique. Le but n’est pas de faire des économies à tout prix mais de faciliter le retour à l’emploi, avec, si besoin, un accompagnement par le service social ", conclut le Dr Pénit.
Le risque d'effets secondaires...
Mais les médecins seront-ils aussi sensibles à la nécessité des économies sur les I.J. si le super bon plan de l’IGAS voit le jour ? Pas sûr ! Dès l’annonce des quatre jours à la charge des entreprises pour un arrêt de moins de 8 jours, sur un forum de médecins libéraux, ça allait bon train, les promesses, de ne plus jamais prescrire… moins de 9 jours d’arrêt ! Empathie naturelle du soignant envers son patient pour lui épargner les affres du froncement de sourcils du DRH au dépôt de son arrêt-maladie ?
Le fait est qu’il est peut être légitime de se demander si transférer aux entreprises le coût des arrêts maladie de courte durée n’incitera pas des salariés à négliger leur santé, au risque de tomber dans la pathologie chronique. Non que tous les employeurs soient animés des pires intentions, mais l’entreprise est dans son rôle quand elle cherche le profit, l’assurance-maladie dans le sien quand elle veille à la santé des assurés.
Reste à en convaincre l’IGAS.
Source: IP Réunion. Par ML. Le 06/08/2018.