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FJ
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mercredi 11 juillet 2018
En 2018, côté rupture de stocks dans les pharmacies françaises, ça risque de ne pas aller mieux qu'en 2017, une année qui avait enregistré 30 % de plus de " pénurie " qu'en 2016,
comme le signale le Journal International de Médecine dans son édition du 6 juillet dernier. Pour le Sénat, la situation est suffisamment préoccupante pour avoir lancé des auditions les 5 et 6 juillet, préalable à un rapport remis fin septembre. En attendant, à La Réunion, comment se portent les stocks des pharmacies ? Le point de vue d'un pharmacien tempère le débat qui s'emballe...
L’an dernier, pas moins de 530 signalements de médicaments à intérêt thérapeutique majeur (MITM) ont été en rupture de stock en France (sources Académie de Pharmacie/JIM)! Toutes les catégories de médicaments ont été concernées mais plus particulièrement les anti-infectieux (dont les vaccins, qui sont en tension depuis 2015, selon les déclarations de l’Agence nationale de la Santé et du Médicament (ANSM), les anti-cancéreux et les médicaments du système nerveux. En 2017, les ruptures de stocks réelles ont dépassé de 30% celles de 2016.
D’où la réaction du Sénat qui a mandaté une mission d’information " afin d’établir un état des lieux des ruptures et des risques de rupture de stocks constatés au cours des dernières années pour les médicaments et les vaccins, et pour retracer les différentes causes de ce phénomène en inquiétante progression ". Les grands mots sont donc de sortie mais il faut aussi des explications. Selon l’ANSM, il y a plusieurs causes à cet état de fait : une capacité de production insuffisante, des difficultés survenues lors de la fabrication des matières premières ou des produits finis, des défauts de qualité sur les médicaments impliquant des décisions de suspension d’activité d’un fabricant ou d’un exploitant…
"Il n’y a pas de pénurie de médicaments à La Réunion"
Sauf que Claude Cheung Lung, docteur en pharmacie, installé à Bellepierre, ne l’entend pas de cette oreille ! " La pénurie ? Il n’y a pas de pénurie de médicaments à La Réunion ! ". Tout au plus consent-il à reconnaître des ruptures de stocks sur certains produits. " Mais ça ne pose pas de problème, explique Claude Cheung Lung, car on peut zapper d’une marque à l’autre. Des anti-nauséeux sont parfois en rupture, c’est vrai mais il suffit de changer de molécule et le problème est réglé. Il existe de nombreux médicaments similaires". Comme le souligne le pharmacien, le problème, ce n’est pas la rupture de stock dans la marque mais l’obstination du patient, et parfois du médecin prescripteur, à ne pas vouloir changer de marque. En général, la rupture de stock est compensée dans le mois qui suit et il est alors possible de repartir sur le traitement d’origine. Même sur les anti-cancéreux il n’y aurait pas de pénurie à La Réunion. " Nous disposons de trois grossistes ici, plus les hôpitaux.On peut toujours se fournir en anti-cancéreux. Et si il n’y en a plus sur l’île, on fait du Chronopost et en trois jours on est livré. Le seul produit sur lequel on a été réellement en rupture, c’est le vaccin pour adulte contre l’hépatite A. Mais maintenant une nouvelle marque est arrivée et cela a réduit le risque de rupture. "
Un seul fabricant de matières premières
Si les propos du pharmacien dionysien sont rassurants, on peut se poser la question du pourquoi des ruptures dans les marques. " C’est tout simple, les commandes de matières premières se font un an à l’avance. Il y a un seul fabricant mondial de matières premières. C’est de la haute-voltige mais c’est comme ça. Certains pays, par leur importance démographique, sont de meilleurs clients, que la France : ils commandent plus, alors ils sont livrés les premiers. Nous, on passe après, alors il y a parfois des tensions sur les lignes de fabrication. Si un laboratoire a prévu 100 000 boites pour l’année suivante et qu’il a en fait de la demande pour 120 000 cette année-là, eh bien, on ne pourra pas avoir les 20 000 qui manquent. Il faudra passer sur un produit similaire, chez un autre laboratoire. Il y a tellement de marques, tellement de produits similaires, qu’on arrive à jongler. Il n’y a pas de pénurie de médicaments. Et puis, si vous prenez les vaccins, par exemple, il suffit d’un ratage dans la ligne de fabrication, et il faut tout arrêter, tout recommencer et vous avez perdu trois mois sur la ligne de fabrication. "
Un prix trop bas pour l’industrie et les revendeurs
Et Claude Cheung Lung d’y ajouter une analyse économique, pas très populaire quand on parle de santé mais réaliste : " Le prix des médicaments ne cesse de baisser mais pas leurs coûts de fabrication et de commercialisation. Donc le fabricant, le grossiste et le détaillant n’ont plus les moyens de stocker.
Ce qu’ils fabriquent et distribuent doit être vendu dans la semaine, parce qu’avoir du stock, ça veut dire faire appel à la trésorerie or la marge est trop basse. " Dans le contexte actuel, il y a peu d’espoir de voir les choses s’améliorer selon l’Académie de pharmacie, qui a évoqué l’indisponibilité des MITM dans un rapport le 20 juin dernier qui estime que sans coordination des industriels, des pouvoirs publics et des organismes de régulation du secteur de la santé, la situation pourrait " se dégrader encore davantage dans les prochaines années ".
Sur ce point, l’Académie de pharmacie ne dit pas autre chose que notre pharmacien témoin : le marché du médicament français n’est pas des plus intéressants pour les laboratoires. Face à la non-actualisation du prix de certains anticancéreux ou certains antibiotiques, les marges trop faibles n’incitent pas les industriel à intensifier leurs structures de production. Et les pays où le prix des médicaments est moins encadré à la baisse sont servis en premier, dixit le rapport de l’Académie de pharmacie : "Le différentiel de prix entre les différents États européens est souvent un handicap pour la France, surtout lorsque les stocks sont faibles à tous les niveaux de la chaîne de production et de distribution et ne permettent pas de couvrir les ruptures majeures pour les pays les moins attractifs ".
Business is business
Autrement dit, les laboratoires livrent en premier ceux qui paient le mieux. Business is business. Reste à attendre les propositions du Sénat, annoncées pour septembre, qui pourraient envisager une révision à la hausse du prix de certains médicaments, mais aussi encourager à la multiplicité des fournisseurs et imposer des quantités contractuelles prévisionnelles. Devrait aussi apparaître au niveau européen une liste des médicaments indispensables, dont la fabrication serait relocalisée en Europe afin de favoriser l’indépendance du territoire pour ces remèdes essentiels.
Des mesures qui risquent de prendre un certain temps avant de voir le jour. Mais pour l’instant, si les ruptures de stocks de certains médicaments existent ponctuellement à La Réunion, on est très loin, vraiment très loin, d’une hausse dramatique de la mortalité pour pénurie de médicaments…
Source: IP Réunion. Par ML. Le 11/07/2018.
comme le signale le Journal International de Médecine dans son édition du 6 juillet dernier. Pour le Sénat, la situation est suffisamment préoccupante pour avoir lancé des auditions les 5 et 6 juillet, préalable à un rapport remis fin septembre. En attendant, à La Réunion, comment se portent les stocks des pharmacies ? Le point de vue d'un pharmacien tempère le débat qui s'emballe...
L’an dernier, pas moins de 530 signalements de médicaments à intérêt thérapeutique majeur (MITM) ont été en rupture de stock en France (sources Académie de Pharmacie/JIM)! Toutes les catégories de médicaments ont été concernées mais plus particulièrement les anti-infectieux (dont les vaccins, qui sont en tension depuis 2015, selon les déclarations de l’Agence nationale de la Santé et du Médicament (ANSM), les anti-cancéreux et les médicaments du système nerveux. En 2017, les ruptures de stocks réelles ont dépassé de 30% celles de 2016.
D’où la réaction du Sénat qui a mandaté une mission d’information " afin d’établir un état des lieux des ruptures et des risques de rupture de stocks constatés au cours des dernières années pour les médicaments et les vaccins, et pour retracer les différentes causes de ce phénomène en inquiétante progression ". Les grands mots sont donc de sortie mais il faut aussi des explications. Selon l’ANSM, il y a plusieurs causes à cet état de fait : une capacité de production insuffisante, des difficultés survenues lors de la fabrication des matières premières ou des produits finis, des défauts de qualité sur les médicaments impliquant des décisions de suspension d’activité d’un fabricant ou d’un exploitant…
"Il n’y a pas de pénurie de médicaments à La Réunion"
Sauf que Claude Cheung Lung, docteur en pharmacie, installé à Bellepierre, ne l’entend pas de cette oreille ! " La pénurie ? Il n’y a pas de pénurie de médicaments à La Réunion ! ". Tout au plus consent-il à reconnaître des ruptures de stocks sur certains produits. " Mais ça ne pose pas de problème, explique Claude Cheung Lung, car on peut zapper d’une marque à l’autre. Des anti-nauséeux sont parfois en rupture, c’est vrai mais il suffit de changer de molécule et le problème est réglé. Il existe de nombreux médicaments similaires". Comme le souligne le pharmacien, le problème, ce n’est pas la rupture de stock dans la marque mais l’obstination du patient, et parfois du médecin prescripteur, à ne pas vouloir changer de marque. En général, la rupture de stock est compensée dans le mois qui suit et il est alors possible de repartir sur le traitement d’origine. Même sur les anti-cancéreux il n’y aurait pas de pénurie à La Réunion. " Nous disposons de trois grossistes ici, plus les hôpitaux.On peut toujours se fournir en anti-cancéreux. Et si il n’y en a plus sur l’île, on fait du Chronopost et en trois jours on est livré. Le seul produit sur lequel on a été réellement en rupture, c’est le vaccin pour adulte contre l’hépatite A. Mais maintenant une nouvelle marque est arrivée et cela a réduit le risque de rupture. "
Un seul fabricant de matières premières
Si les propos du pharmacien dionysien sont rassurants, on peut se poser la question du pourquoi des ruptures dans les marques. " C’est tout simple, les commandes de matières premières se font un an à l’avance. Il y a un seul fabricant mondial de matières premières. C’est de la haute-voltige mais c’est comme ça. Certains pays, par leur importance démographique, sont de meilleurs clients, que la France : ils commandent plus, alors ils sont livrés les premiers. Nous, on passe après, alors il y a parfois des tensions sur les lignes de fabrication. Si un laboratoire a prévu 100 000 boites pour l’année suivante et qu’il a en fait de la demande pour 120 000 cette année-là, eh bien, on ne pourra pas avoir les 20 000 qui manquent. Il faudra passer sur un produit similaire, chez un autre laboratoire. Il y a tellement de marques, tellement de produits similaires, qu’on arrive à jongler. Il n’y a pas de pénurie de médicaments. Et puis, si vous prenez les vaccins, par exemple, il suffit d’un ratage dans la ligne de fabrication, et il faut tout arrêter, tout recommencer et vous avez perdu trois mois sur la ligne de fabrication. "
Un prix trop bas pour l’industrie et les revendeurs
Et Claude Cheung Lung d’y ajouter une analyse économique, pas très populaire quand on parle de santé mais réaliste : " Le prix des médicaments ne cesse de baisser mais pas leurs coûts de fabrication et de commercialisation. Donc le fabricant, le grossiste et le détaillant n’ont plus les moyens de stocker.
Ce qu’ils fabriquent et distribuent doit être vendu dans la semaine, parce qu’avoir du stock, ça veut dire faire appel à la trésorerie or la marge est trop basse. " Dans le contexte actuel, il y a peu d’espoir de voir les choses s’améliorer selon l’Académie de pharmacie, qui a évoqué l’indisponibilité des MITM dans un rapport le 20 juin dernier qui estime que sans coordination des industriels, des pouvoirs publics et des organismes de régulation du secteur de la santé, la situation pourrait " se dégrader encore davantage dans les prochaines années ".
Sur ce point, l’Académie de pharmacie ne dit pas autre chose que notre pharmacien témoin : le marché du médicament français n’est pas des plus intéressants pour les laboratoires. Face à la non-actualisation du prix de certains anticancéreux ou certains antibiotiques, les marges trop faibles n’incitent pas les industriel à intensifier leurs structures de production. Et les pays où le prix des médicaments est moins encadré à la baisse sont servis en premier, dixit le rapport de l’Académie de pharmacie : "Le différentiel de prix entre les différents États européens est souvent un handicap pour la France, surtout lorsque les stocks sont faibles à tous les niveaux de la chaîne de production et de distribution et ne permettent pas de couvrir les ruptures majeures pour les pays les moins attractifs ".
Business is business
Autrement dit, les laboratoires livrent en premier ceux qui paient le mieux. Business is business. Reste à attendre les propositions du Sénat, annoncées pour septembre, qui pourraient envisager une révision à la hausse du prix de certains médicaments, mais aussi encourager à la multiplicité des fournisseurs et imposer des quantités contractuelles prévisionnelles. Devrait aussi apparaître au niveau européen une liste des médicaments indispensables, dont la fabrication serait relocalisée en Europe afin de favoriser l’indépendance du territoire pour ces remèdes essentiels.
Des mesures qui risquent de prendre un certain temps avant de voir le jour. Mais pour l’instant, si les ruptures de stocks de certains médicaments existent ponctuellement à La Réunion, on est très loin, vraiment très loin, d’une hausse dramatique de la mortalité pour pénurie de médicaments…
Source: IP Réunion. Par ML. Le 11/07/2018.