Les pharmacies réunionnaises font toujours face à des pénuries.
Plusieurs médicaments, tout particulièrement les antibiotiques, sont toujours en rupture de stock dans les pharmacies réunionnaises. Depuis un an désormais, les officines doivent composer avec une baisse drastique de leurs réserves d'antibiotiques, et trouver des moyens pour modifier les prescriptions de leurs patients quand cela est possible. Et aucune amélioration n'est en vue pour l'heure.
Déjà en 2023, les pharmacies étaient en difficulté. "Le problème de la rupture ne s'est jamais réellement réglé, on reçoit tout au compte-goutte, ça perdure depuis quelques mois" indique en effet Boubker El-Beghdadi, président de l'Union régionale des professionnels de santé (URPS) des Pharmaciens de la Réunion et de Mayotte.
A Sainte-Suzanne, Saint-Denis et même partout dans l'île, le problème est le même. "Tout arrive par bateaux avec des stocks pour environ trois mois, les grossistes limitent la délivrance des médicaments" souligne Marie*, pharmacienne à Sainte-Suzanne.
Les commandes doivent en effet s'effectuer cinq boites par cinq boites. "Cela concerne l'amoxicilline, mais aussi l'amlodipine (traitement de l'hypertension artérielle) par exemple. Malheureusement cela concernant beaucoup de médicaments très prescrits, et cela pose du coup un vrai problème de santé publique" affirme-t-elle.
Ces difficultés d'approvisionnement concernent principalement les antibiotiques, "en particulier ceux pour les enfants" souligne Clémence Jendrin, pharmacienne à la pharmacie Lafayette-Maréchal Leclerc de Saint-Denis. "On a plus du tout de de dosage enfant" regrette-t-elle.
-Travail à flux tendu
Pour tenter d'accompagner au mieux la patientèle, les pharmacien.nes doivent s'organiser.
"Quand on est en rupture, comme actuellement concernant l'amoxicilline pour les enfants, on appelle le médecin traitant pour changer la prescription si c'est possible. Si non, on dispatche nos patients dans d'autres pharmacies qui elles ont du stock" détaille Clémence Jendrin.
"On essaie aussi d'adapter la posologie : si on a de l'amoxicilline 500 on peut donner la moitié d'une cuillère pour les enfants. Mais globalement, c'est compliqué : ça demande beaucoup de travail, il faut appeler le médecin, remplacer quand on peut, adapter la posologie…On fait beaucoup d'interventions sur l'ordonnance et tout ça bénévolement finalement" indique Boubker El-Beghdadi.
Mais en se reportant d'un médicament à un autre, les pharmaciens s'exposent…à des ruptures de médicaments sur lesquels ils se sont reportés.
"En période de pénurie de Birodogyl et de Flagyl, des antibiotiques prescrits par les dentistes dans les cas d'infections dentaires, on remplace ces médicaments par de l'amoxicilline…Ce qui créé une pénurie de cette dernière" explique Boubker El-Beghdadi.
Un problème pas près de se régler
Les professionnels vont en tout cas devoir s'habituer à travailler ainsi, à La Réunion comme dans l'Hexagone. La France n'est en effet pas prioritaire sur les livraisons, les "prix des médicaments étant très faibles" explique le président de l'URPS des Pharmaciens de la Réunion et de Mayotte. "Ce n'est pas rentable pour les laboratoires."
Une problématique dont est bien conscient l'Ordre des pharmaciens. "En constante progression depuis dix ans, les pénuries de médicaments sont un motif majeur d'inquiétude, avec des effets directs et indirects sur la santé des Français" écrit-il dans son édition de décembre 2023 des Cahiers des pharmaciens.
"De multiples causes sont à l'origine des tensions et des ruptures d'approvisionnement en produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux), entre l'explosion de la demande mondiale, les vulnérabilités des chaînes de fabrication, les facteurs économiques du prix des médicaments et l'inflation touchant les matières premières, l'absence de partage instantané de l'information et le manque d'anticipation des risques de rupture par catégorie de produit" détaille-t-il.
En 2022, au niveau national, 3751 déclarations de rupture de stock ou de risque de rupture ont été répertoriées par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
La durée médiane des ruptures était de deux mois, "un chiffre qui masque de grandes disparités avec des ruptures allant de quleques heures à une durée indéterminée" indique l'Ordre des pharmaciens.
En moyenne, 6,68 heures ont été consacrées chaque semaine par les officines pour la gestion des ruptures.
Avec la crise du canal du Suez, l'inquiétude a aussi gagné les pharmacien.nes concernant d'éventuels retards. D'après une pharmacienne de Sainte-Suzanne, un navire du transitaire SIFA, qui transporte des produits pharmaceutiques, a déjà modifié son itinéraire. L'entreprise indique cependant que ces détours "retardent de cinq à dix jours les livraisons". "Cela n'a donc pas d'impact significatif" assure l'entreprise.
"Après une première réunion le 22 décembre dernier, la cellule de crise s’est de nouveau réunie en préfecture ce mercredi 3 janvier 2024. (…) Actuellement, aucun impact sur les approvisionnements n’est signalé à La Réunion" abonde la préfecture.
L'ARS et le ministère de la Santé ont tous deux été alertés de ces difficultés à plusieurs reprises. Mais pour l'heure, les professionnels de santé ne voient pas la situation s'arranger de sitôt.
Source : https://imazpress.com/ AS