Le nitazène à l’origine de trois overdoses mortelles à La Réunion.
Si la drogue dénommée B13 est régulièrement citée dans les affaires judiciaires liées aux stupéfiants ou sur les réseaux sociaux, sa composition ou même ses effets demeurent peu documentés. Selon Jacques Navon, psychologue clinicien en addictologie, le marché des drogues de synthèse évolue plus rapidement que les moyens à disposition pour les analyser. En témoigne le boom des nitazènes, des opioïdes de synthèse à l'origine de trois décès cette année à La Réunion.
Son nom reste nimbé de mystère et de secret. La drogue B13 était pourtant déjà citée dans le rapport 2022 de l’OFDT (Observatoire français des drogues et des tendances addictives) dans le chapitre consacré aux « Tendances récentes sur l’île de La Réunion », même si le sujet n’était qu’effleuré.
Les premiers éléments d’information avaient été recueillis par les personnels du Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), une structure de l’association Réseau Oté ville/hôpital 974 à Saint-Paul.
« Selon l’équipe du CAARUD, une nouvelle expression « B13 » désignerait une poudre qui circulerait de plus en plus, notamment auprès des consommateurs de chimique. Certains auraient transféré leur consommation vers la « B13 », jugée plus efficace en termes d’effet stimulant et hallucinogène. Elle serait fumée en pipe ou sur des feuilles d’aluminium (« chasse au dragon »). Des jeunes suivis au CAARUD en consomment également en remplacement de la MDMA, elle est alors consommée en parachute », mentionne le document, en précisant que des « effets indésirables » sont possibles.
n septembre dernier, l’Agence régionale de santé (ARS) avait alerté le public sur une nouvelle drogue particulièrement dangereuse dont la circulation dans l’île avait causé trois décès (un jeune détenu de la prison de Domenjod en juin, puis deux jeunes hommes du quartier fayard à Saint-André le mois suivant), sur un total de treize personnes hospitalisées pour intoxication.
Mais aucun élément n’a permis de certifier que la drogue B13 est en cause dans cette affaire. Sollicité, le docteur David Mété, chef du service d’addictologie du CHU de La Réunion et président de la Fédération régionale d’addictologie de La Réunion (Frar), indique ne pas disposer d’information concrète sur la place occupée par la B13 dans la consommation locale de drogue. « Je n’ai pas de retour particulier des patients hospitalisés à ce sujet et mes collaborateurs, à qui j’ai posé la question, sont dans le même cas », précise David Mété.
Dans les locaux de la Kaz Oté à Saint-Paul, quatre médecins addictologues du Caarud accueillent en soins ambulatoires, gratuitement et de manière anonyme, des consommateurs venus de toute l’île. Un psychiatre reçoit le public deux fois par mois et une pharmacienne, spécialement formée en addictologie, se positionne en appui. « On intervient dans la prison du Port et on a entendu des personnes incarcérées qui disaient consommer du B12 ou du B13, ou encore de la cristalline. Mais comme à La Réunion on ne peut pas analyser les drogues de synthèse, c’est difficile de se prononcer sur les compositions », confie Jacques Navon, psychologue clinicien et membre fondateur du Réseau Oté en 1996.
« On peut toujours supposer, en se basant sur les témoignages, que c’est une drogue de synthèse, blanche, sous forme de cailloux, qu’elle se fume et que les effets sont assez violents. C’est ce qui nous revient de gens qui ont observé des consommateurs ou qui disent en avoir consommé, mais ce n’est que du déclaratif », poursuit Jacques Navon.
Selon lui, les cas d’overdose mortelle sont liés à un autre produit que la B13. « C’est le nitazène, un produit qui tourne aux Etats-Unis, qui est apparu aussi en France, en Occitanie. Cela peut vous amener au coma », relève le psychologue clinicien. Les nitazènes sont des opioïdes (des dérivés d’opium de synthèse) aux effets particulièrement puissants. Des médias nationaux se sont emparés de l’affaire après que l’Association française des centres d’addictovigilance a fait le lien entre les cas observés en Occitanie et ceux constatés à La Réunion.
« Ces drogues de synthèse sont faites principalement en Inde et en Chine, il en sort 50 ou 60 nouvelles par semaine. Ils changent juste une petite molécule, car c’est une course pour les produire avant que la substance ne soit interdite : ils ont deux semaines avant que les labos les analysent. Au Royaume-Uni, ils ont tout interdit, c’est plus simple », commente Jacques Navon, qui déplore que les noms de code attribués à ces drogues soient systématiquement modifiés à La Réunion, au profit d’une appellation purement locale.
« Ces noms de code permettent aux consommateurs de se renseigner sur leur composition sur internet, c’est important pour ceux qui ne veulent pas consommer en aveugle », relève le psychologue clinicien, qui souligne que les drogues de synthèse représentent environ 2% des personnes suivies par le Caarud, « loin derrière le trio de tête alcool – zamal – tabac ».
Face à la difficulté de suivre le rythme effréné d’apparition de ces produits de synthèse, le Réseau Oté ambitionne de se doter dès 2024 d’un laboratoire d’analyse capable d’en déterminer les compositions. Une demande de subvention en ce sens a été transmise à l’ARS, laquelle nous confirme simplement que ce dossier est en cours de traitement.
Source : https://www.zinfos974.com/ Thierry Lauret