L'insecte stérile fait ses preuves à la Réunion
Réduire de 60 % la fertilité des moustiques tigres Aedes albopictus par la technique de l'insecte stérile (TIS), c'est possible. Tels sont les résultats d'une étude menée à la Réunion par l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Une solution au problème posé par la résistance aux insecticides que développent les moustiques.
Il aura fallu près de 10 ans de recherche. Mais les résultats finaux, communiqués depuis le 14 septembre 2022 par l'Institut de recherche pour le développement (IRD), sont éloquents : la technique de l'insecte stérile (TIS) fonctionne. Le principe repose sur des lâchers de moustiques mâles, élevés en laboratoire pour qu'ils s'accouplent avec des moustiques femelles sauvages (non traitées) et à évaluer ensuite leur capacité à réduire la fécondité de la population de moustiques sauvages.
Pour cette étude, des moustiques réunionnais ont été élevés dans l'insectarium installé au Cyroi (Cyclotron Réunion Océan Indien) à partir d'œufs collectés dans une zone proche.
Les mâles, au stade de nymphe, ont été stérilisés par exposition aux rayons X à l’aide d’un appareil de l’Établissement français du sang qui sert à stériliser les poches de sang. « Un défi de taille qui a exigé une attention constante pour s’assurer d’une stérilité des moustiques égale à 100 % et une surveillance de la qualité des moustiques mâles stériles destinés à être relâchés dans la nature », explique Lucie Marquereau, ingénieure entomologiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) de la Réunion.
Baisse de 60 % de la fertilité
Entre juillet 2021 et août 2022, 10,3 millions de mâles stériles ont été lâchés sur la zone de test pour s'accoupler avec des femelles sauvages. Les résultats de l’étude ont révélé, jusqu’à fin 2021, une diminution du taux de natalité du moustique tigre Aedes albopictus de 50 %. Entre janvier et avril 2022, cette réduction de la fertilité des moustiques sauvages a eu tendance à stagner, ce qui s’explique par des épisodes cycloniques et des fortes pluies qui ont perturbé les activités du programme, engendrant en même temps des conditions favorables à la multiplication des gîtes larvaires aux alentours de la zone des lâchers.
Mais, au final, les efforts de lâchers maintenus pendant 12 mois consécutifs ont permis d’atteindre jusqu’à 60 % de réduction de la fertilité au centre de la zone pilote, par rapport aux années précédentes dans le même quartier et en comparaison avec une autre zone témoin dans laquelle aucun moustique mâle n'a été lâché.
« Cette technique de lâchers de moustiques mâles stériles ne présente aucun danger pour les populations sur la zone puisque seules les moustiques femelles piquent, le mâle est inoffensif », précise Frédéric Simard, entomologiste médical et directeur de recherche à l'IRD, qui a mené des missions d'information des riverains afin de les rassurer sur l'innocuité de cette expérimentation.
Parallèlement, les chiffres épidémiques, en forte hausse depuis 2018, ont chuté de manière drastique, passant de 29 577 cas en 2021 à 1 204 cas en 2022 et d'une vingtaine de morts chaque année depuis 2018 à seulement deux décès en 2022.
Une technique complémentaire
Ces dix années de travaux et les résultats associés ont démontré que la TIS est une technologie qui peut s’intégrer, en complément des outils actuels, aux stratégies de lutte anti-vectorielle. « Si les chercheurs conviennent que la TIS n'éliminera pas totalement la population des moustiques, cette technique est un moyen de lutte réellement convaincant, reconnaît Louis-Clément Gouagna, entomologiste médical à l’IRD, coordonnateur du programme TIS à la Réunion. Les travaux effectués sur l'île nous invitent à considérer cette technique comme un ajout complémentaire décisif à une boîte à outils devenue incontournable pour le contrôle des moustiques responsables de la transmission des agents pathogènes responsables de la dengue ou du chikungunya. »
Reste à trouver comment passer de l'expérimentation à petite échelle à la production industrielle, ce qui implique la mise en œuvre d’un modèle économique viable qui devrait faire appel à des investisseurs publics-privés. Avec, pour cahier des charges, une stratégie globale de lutte anti-vectorielle respectueuse de la santé et de l’environnement. Et économiquement soutenable. Un vrai défi pour faire rayonner à l'international cette innovation 100 % réunionnaise afin de contribuer à diminuer le risque sanitaire que font peser sur les populations les épidémies de dengue et de chikungunya.
Source : https://www.lequotidiendumedecin.fr/ Mireille Legait / Photo DR